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Peter Burg Werke

Au service de l’Allemagne

5. Au service de l’Allemagne dans la Première Guerre Mondiale

<75>                                             Chapitre IV

Première Guerre

Arrivé à Aix-la-Chapelle après un voyage voué entièrement à la méditation, aux résolutions viriles, aux plans de campagne spirituelle, je me présentai à la résidence de mes confrères allemands, qui m’accueillirent fraternellement. La qualité de mon allemand laissait fort à désirer et je venais d’une province française. Ces circonstances ne les empêchèrent pas de me traiter comme un des leurs propres scolastiques, de m’offrir gîte et couvert et de m’inviter à venir tous les dimanches de la garnison voisine, si j’obtenais la permission. Les Pères étaient très aimés dans cette ville de Charlemagne restée très catholique. Ils étaient alors tout à la joie et à la confiance, parce que l’empereur Guillaume venait de supprimer la loi d’exception votée contre les Jésuites et qui leur défendait de former communauté dans le pays. La suppression de cette loi n’avait pas plu à tout le monde. Beaucoup de Protestants avaient, à son occasion, protesté une fois de plus, au moins in petto, car la critique ouverte n’était pas tolérée alors. Les Pères me conseillèrent donc de déclarer ouvertement à la caserne que j’étais Jésuite. Arrivé à Eschweiler avec un contingent de jeunes paysans et ouvriers rhénans de la classe 17, je m’exécutai et comme profession donnai celle de « Jésuite ». Le sous-officier Bartz, qui commandait l’escouade à laquelle j’étais attribué, n’en crut pas ses oreilles. C’était un Poméranien sanguin, soldat de carrière, brutal, protestant peu cultivé au demeurant, partageant les préjuges classiques de ses coreligionnaires sur les fils de Loyola, s’étonnant même d’en voir un sans pieds de bouc devant lui. Pendant les six semaines que je restai sous ses ordres, je devins sa bête noire, sans jeu de mot. Il assouvit sur moi la haine absurde que toute sa vie il avait nourrie contre des gens qu’il ne connaissait qu’à travers des pamphlets. Il ne perdit pas une occasion de me brimer, de me « schwänzen » comme il disait avec sarcasme.

Il est vrai que les motifs ne lui en manquaient pas. J’étais un fort mauvais soldat, distrait, maladroit, perdu dans des rêveries mystiques au milieu de l’exercice, saluant gauchement ou oubliant de le faire, ne réussissant guère le « portez armes » qu’il nous faisait exercer indéfiniment et auquel il attachait une importance grotesque. J’ai vécu alors un véritable martyre, dans le genre de celui que décrit Ehrmann dans le livre de Barrès[1] « Au service de l’Allemagne »[2]. Tout ce qui est dit dans ce roman sur la morgue et la brutalité des sous-officiers prussiens, sur le caporalisme niais auquel on soumet les recrues, je l’ai vécu et j’en garde un souvenir amer. J’étais de toutes les corvées et de toutes les gardes, je me vis refuser la <76> permission d’aller  à la messe le matin. Pendant les exercices, l’odieux sergent, pour me punir de mes distractions, me forçait à m’allonger et à me relever vingt, trente, cinquante fois à la suite, me faisait courir comme une bête au cirque, accompagnant tout cela de commentaires aussi niais que méchants. Et j’étais intérieurement heureux de ce martyre, qui comblait tous mes vœux secrets et que j’offrais à Dieu avec une reconnaissance éperdue. Car, je maintenais intérieurement toute ma tension spirituelle et faisait, dans le temps libre, mes exercices comme au noviciat.

Je n’ai gardé aucun souvenir des camarades d’alors. -  Je n’eus pas le temps de me faire des amis ou d’exercer un apostolat quelconque. – J’étais par trop dépaysé à tout point de vue. Mon peu de familiarité avec la langue me paralysait aussi. Je dus faire l’impression d’un quaker partisan de l’objection de conscience, perdu dans ses rêves pieux, poisson hors de l’eau, curiosité psychologique inspirant compassion plutôt qu’admiration. – Un de mes confrères, Lorrain, mobilisé comme moi dans une ville voisine, sous-officier estimé vint me voir, causa  avec le terrible Bartz et obtint quelques  adoucissements pour moi. – Je n’eus guère le temps d’en profiter. Au bout de six semaines nous fumes expédiés en France, du coté de La Fère, destinés à renforcer quelque régiment se battant dans la Somme. Notre instruction était des plus sommaires. Elle fut complété dans un dépôt de recrues qui se trouvait derrière le front et faisait partie d’un corps d’armée dont j’ai oublié le numéro. J’étais heureux d’être en France et de pouvoir parler français avec les civils qui me gâtaient. Cela ne dura pas. Notre corps d’armée, décimé dans la Somme, partit pour la Russie. C’était pendant le terrible hiver de 1917. Le voyage fut effroyable. Nous étions parqués dans des wagons à bestiaux, ayant peu de paille et une nourriture maigre que l’on distribuait aux gares de triage. Beaucoup d’entre nous, refroidis, eurent de l’entérite et l’on devine les scènes que cela provoquait dans un train qui roulait, roulait jour et nuit à travers la France, à travers la Belgique, à travers l’Allemagne, à travers la Russie. Il faudrait la plume de Rabelais[3] pour décrire l’angoisse, l’ingéniosité et le soulagement de ces pauvres malades. Pour ma part, ayant négligé d’ôter mes bottes durant le trajet qui dura plus de dix jours, je constatai  en arrivant à Chelm en Wollynie, que mes jambes étaient terriblement enflés. Leur volume avait augmenté de moitié. <77> Le médecin qui vit ces jambes monstrueuses me fit hospitaliser dans cette charmante ville de Chelm, dont les églises à coupoles me sont restées dans les yeux. A l’hôpital  je trouvai comme aumônier un confrère bavarois, ancien missionnaire des Indes. Le médecin catholique qui me soigna, bavarois catholique lui aussi, ce qui ne l’empêchait pas de flirter avec une infirmière que tout le monde désignait, m’appela « Bischof », évêque, chaque fois qu’il me voyait. Mes genoux, fortement cuirassées, lui avaient en effet révélé du premier coup ma piété. Les heures d’agenouillement m’avaient marqué. Bien que ma maladie fut bénigne et que mes jambes au bout de peu de jours eussent retrouvé leur volume normal, ce bon médecin me garda six semaines dans son hôpital. C’était en décembre 1916 et janvier 1917. –

Je profitais de mes loisirs pour faire la seconde grande retraite que mes conovices faisaient à ce moment en Belgique. Il y avait une belle chapelle dans l’hôpital. J’y voyais le dimanche des Polonais baiser trente à quarante fois le sol pendant la grâce messe. Je les entendais aussi chanter avec une ardeur grave, une nostalgie secrète, une foi à transporter les montagnes. Ils priaient pour retrouver leur patrie unie comme au temps de Sobieski[4]. C’est dans cette chapelle que je faisais quatre fois par jour ma méditation.- Décidément je n’étais pas encore soldat.- Ma pensée était surtout concentrée sur le passé du noviciat, dont je revivais tout naturellement et avec délices les impressions et sur l’éternel, dans[5] lequel je me baignais. Ce qui se passait autour de moi me touchait peu. Dans un carnet de ce temps là, où j’écrivais mes pensées en latin, pour qu’elles  fussent hermétiques à mes camarades, je retrouve des témoignages de cette vie intemporelle, inactuelle que j’ai vécu alors en pleine guerre et en pleine Russie. J’y trouve cependant l’écho de quelques conversations apostoliques que j’eus avec des camarades et aussi de mon écœurement devant  d’autres conversations qui offensaient mes oreilles pies. – Mais dans l’ensemble je vivais seul avec Dieu et c’était délicieux. A la visite du matin, le médecin-chef regardait distraitement mes jambes, caressait avec un étonnement toujours renouvelé la carapace de mes genoux d’« évêque » et me disait de rester encore quelques jours. Je fêtai donc Noël 1917[6] à l’hôpital de Chelm. C’est pendant cette fête que se réveille puissamment mon atavisme « sarrois ». Mes parents m’avaient naturellement envoyé un colis avec une petite branche de sapin, mes camarades avaient allumé dans la grande salle <78> de l’hôpital un arbre de Noël chargé de verroterie étincelante et de neige artificielle. Nous chantâmes ensemble les vieux Noëls allemands qui dormaient dans notre mémoire, surtout le « Stille Nacht », si suave, si intimement religieux, mais surtout si chargé d’émotions familiales et nationales. – Ce fut la vieille Allemagne romantique qui me reprit pour quelques heures et berça doucement l’enfant que j’étais, faisant endormir sous sa musique magique toutes mes pensées et tous mes vouloirs, ou plutôt les forçant à orchestrer sa musique à elle au lieu de dominer dans mon âme. – Il y eut cependant une fausse note dans ce concert. Au cours d’une séance dramatique réunissant malades, infirmières et médecins, une chanson fut chantée, dont la dernière strophe, parfaitement inconvenanté et que malheureusement je n’ai jamais oubliée, fit monter le rouge aux fronts des Religieuses qui étaient dans la salle et les fit sortir avec indignation, gâtant aussi leur joie à elle et celle de beaucoup d’autres. C’était la première fois que je touchai du doigt le manque de finesse propre aux Allemands. – Ce ne sera pas la dernière.-

Le temps vint où je dus quitter ce nid chaud de l’hôpital pour rejoindre mon unité. Ce ne fut pas facile. Je m’égarais sans mauvaise volonté dans cette immense Russie. – Mon voyage dura bien quinze jours. Je me souviens d’une petite fille de Bialystock à qui je demandai si elle était Polonaise. Elle me répondit avec une véritable indignation qu’elle était Juive et non Polonaise. Elle refusait de s’assimiler, cette petite Israélite, comme les 4 millions de ses compatriotes que je verrai plus tard à Cracovie, à Varsovie, à Lodz. – Je me souviens aussi des églises à coupoles dorées de Vilna, d’une rue des Jésuites que j’y remarquai et surtout du fameux pèlerinage de l’Ostra Brama, notre Porte. L’image vénérée se trouvait en effet dans la partie supérieure d’une vieille porte de la ville. Toute la journée, malgré le froid qui était très vif, plusieurs dizaines de personnes priaient debout ou à genoux devant la Madone. Polonais et Lithuaniens, malgré leur âpre et séculaire rivalité, se retrouvent aux pieds de Notre-Dame, lui demandant, les uns que la vieille cité reste polonaise, les autres qu’elle redevienne lithuanienne. Peut-être avant longtemps quelqu’un les mettra d’accord, « en les croquant l’une et l’autre ».

<79> Je me rappelle aussi, au cours de ce voyage circulaire, mon passage à Brest-Litowsk, où quelques mois plus tard devait se signer la paix entre Allemands et Russes. De la ville il ne restait que la magnifique église bleue, à cinq coupoles, la gare et… une maison spéciale que les Allemands y avaient installée pour les soldats de passage. Justement, tandis que j’attendais mon train, un soldat aux allures louches me présenta des cartes postales obscènes, représentant les beautés qui achalandaient la maison. C’était la première fois je pris contact avec le vice hideux. – Avec indignation je déclarai au triste sire que j’allais le dénoncer s’il ne quittait la gare immédiatement. – Il plia bagage et sortit.

Le dépôt de recrues auquel je devais me rendre se trouvait à Schtun, à quelques kilomètres de Kowel, en Volynie. C’était un pauvre village paysan, dont les maisons étaient an bois et en terre battue. – Les habitants menaient une vie très précaire. Les lits y étaient inconnus, comme à Nazareth. Le soir la famille replie des nattes et des couvertures, les étend sur l’immense poêle en briques qui est un four plutôt qu’un poêle et y prend son repos. Les poules se promènent librement dans cette unique pièce de la maison. J’ai remarqué une forme originale de berceau. – Du plafond était suspendue une poutre mobile, au bout de laquelle était fixée une caisse. Le bébé couchait dans celle ci. C’était proprement une balançoire, qui faisait tout à fait l’affaire de ces petits Orientaux. La nourriture de ces pauvres gens était à l’avenant. – Nous avions faim de notre côté et ne trouvions rien auprès d’eux.

Le pire était le froid. Il faisait plus de trente degrés en dessous de zéro. Evidemment il nous fallait régulièrement casser la glace du puits le matin. Enrhumé, il m’est arrivé de voir gelé mon mouchoir quand je voulais le mettre en poche après m’en être servi. – Et nous faisions des exercices de tir, des manœuvres de jour et de nuit dans ce froid. J’en grelotte rien qu’à y penser. Nos mains collaient littéralement à nos fusils dans la neige durcie où nous devions nous coucher pour tirer. Le lieutenant qui nous commandait était un vieux rengagé, un peu ivrogne, tout à fait abruti, dans le genre du sergent Bartz, de sinistre mémoire. Il n’avait aucun égard pour nous et malgré le froid ne nous faisait grâce de rien. Autant que je me rappelle, mes camarades étaient sans enthousiasme. L’adjudant de compagnie qui se l’était coulé douce en France mais ignorait le français, voulait utiliser mes connaissances pour écrire à son ancienne dulcinée. Il eut finalement du remords <80> et me dispensa lui-même de ce rôle équivoque. Le trait le plus nauséabond que je me rappelle est le suivant. Un jeune Polonais, cependant catholique pratiquant, qui voulait dévaliser une vieille femme russe, se voyant imploré par elle ne renonça à son projet que lorsqu’elle lui eut montré ses pauvres dessous comme récompense de sa bonne action! Il s’en vanta dans la suite avec beaucoup de déplaisance en un declin écœurant et cynique.

Vers le mois de mars[7], je fis partie d’un contingent partant en ligne. Je fus incorporé au 69e régiment d’infanterie. Il se trouvait alors devant cette ville de Lontsk[8], que les Russes viennent de reprendre aux allemands au moment où j’écris. En y allant nous passâmes par Kowel, petite ville remplie de Juifs. J’y vis nombre d’officiers autrichiens. Beaucoup y avaient fait venir leurs femmes, ce qui inspirait aux Allemands un grand mépris. J’ai gardé un vif souvenir de cette ville crasseuse, sentant l’ail que les Juifs y mettent dans tous leurs aliments, en particulier dans des saucisses qu’ils nous vendaient, mais que je n’arrivais pas à manger.

Quand j’arrivai en tranchée, la guerre avec les russes était pratiquement terminée. Des pourparlers étaient déjà engagés qui devaient aboutir à la paix de Brest-Litowsk. C’était le printemps, succédant au plus terrible hiver connu là-bas depuis longtemps. Aussi était-ce une inondation dans nos tranchées. Plusieurs soldats se noyèrent dans les trous d’obus en revenant le soir avec la soupe. L’ennemi était calme et confiant. Nous échangions avec lui de l’eau de vie abominable qu’on nous donnait et que nous appelions « Spiritus », essence de pétrole, contre lequel les Russes nous donnaient du savon, dont ils faisaient peu d’usage. Ils adoraient cette vodka et la buvaient comme de la chartreuse. – Cette fraternisation avec des ennemis vaincus ne plaisait pas à tous les officiers. Un jour que j’étais aux créneaux l’un de ceux-ci me força à tirer sur un Russe qui se montrait en face. Je le fis à contre-cœur et mal, je l’espère. Ce fut, je crois, mon seul coup de fusil pendant toute la guerre. J’en eus longtemps un véritable remords.

Peu de temps après la paix de Brest-Litowsk[9] était signée et les armées allemandes se ruèrent sur la France, dont elles croyaient qu’elles ne feraient qu’une bouchée. Notre division fut d’abord envoyée dans un secteur tranquille alors de l’Argonne. Je le connaissais par une chanson célèbre dans l’armée allemande. La forêt y était évoquée <81> comme témoin de combats sanglants. Quand nous y arrivâmes, le secteur était calme mais lugubre. Les tronçons d’arbres se dressaient partout comme des potences, le sol était véritablement criblé de trous d’obus. Le spectacle était inhumain au possible. Je me rappelle l’émotion poignante que j’eus un jour en voyant quelques fleurs printanières jaillir tout de même de ce sol visité par la mort. Le contraste, je me rappelle, m’émut presque jusqu’aux larmes et me fit faire des réflexions intérieures à perte de vue. Dans ce secteur si calme, un malheur faillit m’arriver. D’une sape à l’autre nous échangions aussi parfois quelques mots, entre Français et Allemands. – Je m’entendis inviter à passer de l’autre côté. – L’envie ne m’en manquait pas, mais j’avais peur des représailles contre les miens et je n’étais pas encore assez aguerri pour tenter une aventure pareille. Mais cette fraternisation pratiquée dès le début m’avait fait prendre peu au sérieux la guerre et je fus, une nuit, pris en flagrant délit de sommeil par l’officier de ronde, précisément dans cette tête de sape qui était à trente mètres des tranchées françaises. Par comble de malheur je tournais le dos à celle-ci. – Mon affaire était très mauvaise. – Heureusement, l’officier ne voulait point la pousser et se contenta de me laver sérieusement la tête. Il y avait de quoi.

Nous fumes bientôt relevés dans ce secteur trop paisible et vers le mois de mai 1917 nous arrivions dans l’Aisne, pas loin de Notre-Dame de Liesse. Deux bataillons du régiment allaient en ligne tout de suite au chemin des Dames, du côté de Craonne et contribuèrent à faire échouer l’offensive du général Nivelle[10] qui fut un échec si lamentable. Nous autres, nous entendions gronder terriblement le canon et faisions déjà intérieurement le sacrifice de notre vie. Le dimanche de la Pentecôte j’eus une grande joie. Grâce à un indult que le Père Général[11] avait accordé aux novices qui avaient fait un an de noviciat canonique et l’autre en tout ou en partie aux armées, je pus ce jour-là prononcer mes vœux entre les mains d’un de mes confrères aumônier militaire. Je lui servis la messe dans un hangar de ballon captif et à la communion, sans qu’aucun des soldats assistant <82> à la messe s’en doutait, je prononçais mes vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance qui m’agrégeaient du même coup à la Compagnie de Jésus définitivement. Car ces vœux étaient perpétuels. Dans la plupart des ordres ou congrégations les premiers vœux sont temporaires et n’engagent que pour un, deux ou trois ans. On les renouvelle alors périodiquement jusqu’à la profession solennelle plus tardive. Par un privilège considéré comme une grande faveur, les premiers vœux des jeunes Jésuites sont perpétuels. – J’aspirais depuis longtemps, depuis le 19 mars à cette immolation mystique. Je fis mon offrande avec une grande générosité, résigné d’avance à ne pas rester longtemps dans cette compagnie militante qui m’accueillait dans son sein. – J’aurais même été heureux de mourir bientôt après cette Pentecôte, car je croyais avec St. Thomas que la profession religieuse a la valeur du martyre aux yeux de Dieu, qu’elle efface en conséquence toutes les fautes passées et introduit, en cas de mort immédiate, d’emblée au paradis. On disait bien que mourir pour la patrie avait la même efficacité, mais pour quelle patrie serai-je mort, moi, qui croyais foncièrement injuste la guerre à laquelle je participais. Qu’on mesure tout de même l’originalité de ma  situation. – Je faisais mes vœux, en latin, il est vrai, mais comme scolastique d’une province française, entre les mains d’un aumônier militaire allemand[12], moi-même porteur de l’uniforme feldgrau et des fameuses bottes. Des obus français éclataient non loin de là, tirés peut-être par des confrères auxquels j’étais lié par l’esprit et le cœur. – Je ne pensais guère à tout cela. J’offrais avec une ferveur sans mélange  mes vingt ans, ma liberté, mes quelques biens, mon droit d’aimer à Dieu pour toujours et j’offrais ma vie en même temps. En ce matin de Pentecôte toutes les pensées, toutes les émotions, tous les vouloirs que j’avais eus au noviciat voltigèrent autour de moi comme des colombes, venant renforcer et orchestrer la musique grave de mon âme.

Quelques jours après mon bataillon alla en ligne. Nous marchâmes toute la nuit. Je me rappelle que j’y fus merveilleusement <83> exalté. Je me croyais sincèrement à la veille de ma mort et j’en exultais de joie sur cette route longue, où des odeurs fortes de cadavres nous prenaient souvent à la gorge. Au petit matin, nous arrivâmes à destination sur le fameux chemin des dames, sur une côte célèbre que les Allemands appelaient Winterberg, mont de l’hiver. L’offensive française était brisée, mais le secteur était fort mauvais encore. – Les duels d’artillerie étaient fréquents. – Les tranchées n’existaient plus. Nous habitions dans les trous d’obus sous quelques planches camouflées. – La nuit nous faisions des patrouilles estimées dangereuses. – Le plus terrible était ce tir de barrage que les Allemands appelaient Trommelfeuer et qui anéantissaient le système nerveux. Les corvées d’eau et de soupe étaient redoutables aussi dans un terrain parsemé de trous d’obus et sans cesse arrosée par l’artillerie adverse. C’est durant une de ces corvées que je fus l’objet d’une attention délicate de la Providence. J’étais allé en plein jour chercher de l’eau avec deux seaux dans un village en ruines, dont j’ai oublié le nom, dans la vallée de l’Ailette. Après avoir rempli jusqu’aux bords mes récipients je m’apprêtais à repartir, lorsque sur la place l’idée me vint d’entrer dans une des maisons pour chercher quelques livres français qui pourraient s’y trouver. Mais j’avais été observé de loin. A peine fus-je dans la place qu’une raffale de shrapnells éclata sur la place que je venais de quitter. Je n’y fit pas attention, feuilletant déjà avec joie les Pensées de Pascal[13], que j’avais trouvées dans la pauvre maison délabrée. Je les pris sous les bras et sortis. Mes deux seaux étaient vides et criblés de mitraille. Ma curiosité intellectuelle, providentiellement, m’avait sauvé du même sort.

Quelques jours après une circulaire passa qui demandait le nom des soldats sachant le français. Je donnai le mien et fut appelé bientôt au P.C. du bataillon, rayé des cadres du régiment et envoyé à Laon dans une formation du T.P.S., télégraphie par sol. Nous logions dans un des bâtiments annexes de la préfecture. Nous faisions partie d’un service qu’on appelait les Stations Arendt, d’après le nom de l’inventeur d’un <84> appareil qui permettait d’écouter les conversations téléphoniques et les envois télégraphiques amis et ennemis et de contrôler de la sorte l’activité d’un secteur. De petits appareils pourvus de quatre lampes, reliés au sol par une prise de terre aussi proche que possible de l’ennemi, purement récepteurs, devenaient ainsi le système nerveux de tout un secteur. Ces postes étaient directement rattachés à l’armée, ce qui leur donnait en ligne une grande indépendance. Car ils étaient installés au milieu des fantassins à la hauteur des P.C. de bataillon. – Les prises de terre étaient bien au de là des premières lignes. – Il s’agissait donc de savoir le français, le morse et d’écrire tout ce qu’on entendait. – Tous les soirs un rapport était envoyé à l’armée et exploité par des spécialistes. Après quelques semaines d’entraînement à Laon, je fus envoyé dans le poste qui se trouvait dans une belle forêt entre Prémontré et Vauxaillon. Le secteur était calme. Nous étions quatre à cinq camarades commandés par un sous-officier juif qui avait beaucoup voyagé. – C’était la belle vie.

Le fait que tout le monde devait savoir le français faisait que la formation était d’un niveau intellectuel plus élevé qu’un régiment ordinaire. Il y avait bien un certain nombre de coiffeurs internationaux, de garçons de café ou des cuisiniers de paquebot qui ne savaient guère qu’un français pratique qui n’allait pas très loin. Leurs rapports fourmillaient de fautes grossières. Mais il y avait des professeurs de philologie romane, dont quelques uns étaient très distingués. Leur connaissance du français était livresque, mais riche et précise. Je me rappelle avoir eu des conversations du plus haut intérêt avec l’un d’eux, qui préparait une thèse de doctorat sur nos chansons de geste.

Mon français, naturellement, tranchait sur celui de mes camarades. Aussi étais-je plus souvent à l’écoute que les autres. Je le faisais d’autant plus volontiers que cela me reliait directement avec cette France qui avait pris tout mon cœur. Dans les premiers mois nous entendions assez souvent des conversations <85> téléphoniques. Elles nous paraissaient du reste sans intérêt. Parfois elles nous faisaient venir l’eau à la bouche, car nos vis-à-vis y parlaient de « pinard » mais aussi de poulets et de pain blanc, choses que nous ne connaissions plus depuis longtemps. Je me souviens que le 14 juillet 1917 nous interceptâmes un message qui annonçait le menu du dîner à la popote des officiers. Ce dût être succulent. Je prenais un matin plaisir à corser ce que j’entendais, ajoutant de mon cru des détails savoureux qui devaient faire enrager les officiers qui les interprétaient ou les traduisaient. Le but de notre travail était évidemment de suivre tout ce qui se passait de l’autre côté, les relèves, les préparations de coups de main, l’emploi d’obus asphyxiants. Beaucoup de messages étant chiffrés, nous ne pouvions apprécier nous-mêmes les services que nous rendions. Il parait qu’ils étaient appréciables.

Au fur et à mesure que la guerre avançait, les conversations téléphoniques entendus par nous, devenaient de plus en plus rares. On doublait partout les fils et alors les fuites étaient impossibles. Les télégrammes, chiffrés ou non, étaient d’autant plus nombreux et nous les transcrivions en principe tous, même quand c’étaient de purs exercices journaliers destinés à maintenir le contact simplement.

Notre travail était facile dans l’ensemble. Le plus pénible était la réparation des lignes conduisant aux prises de terre et le déplacement nocturne de celles-ci. Pour cela nous faisions des patrouilles en avant des premières lignes. Elles étaient dangereuses, mais je les adorais. Je découvris alors en moi un goût très prononcé pour les aventures et un véritable goût, peut-être un peu romantique pour le danger. – Etait-ce un atavisme encore venant de mes ancêtres forestiers ou soldats de Napoléon ou simplement vivacité du sang et amour des émotions fortes, je ne sais. En tout cas j’étais de toutes les patrouilles, ni par héroïsme, ni par patriotisme, on voudra bien le croire, mais par amour du risque. Plusieurs de mes camarades avaient peur. Singulièrement les intellectuels ayant vécu dans le calme des bibliothèques, ayant les nerfs plus fragiles ou croyant leurs vies plus précieuses. J’ai remarqué aussi chez plusieurs d’entre eux un égoïsme féroce et primitif <86> qu’aucun vernis de culture n’arrivait à masquer. Il se manifestait en particulier par une voracité sans limites et une absence de camaraderie dans ce domaine qui était écœurante. Je ne suis pas loin de penser, à la suite de ces observations et d’autres semblables faites plus tard, que non seulement la vie intellectuelle et scientifique n’a pas par elle-même de valeur morale et moralisante, mais qu’en absorbant la meilleure partie des énergies psychiques d’un sujet, elle laisse d’autant plus en friches son cœur, son âme, sa sensibilité.

Après quelques mois passés près de Prémontré, je fus envoyé dans un poste semblable, mais beaucoup plus exposé, dans la vallée de l’Ailette, que je connaissais déjà. – Nous étions installés fort médiocrement dans un grand trou d’obus et, vus du chemin des Dames, ne pouvions bouger de toute la journée. Le lieutenant qui commandait la section dont je faisais maintenant partie était Israélite et portait le nom printanier de Rosenfeldt, champ de roses. Il avait passé une grande partie de sa vie à Anvers et parlait très bien le français. Nous nous entretenions parfois dans cette langue. C’était un homme de 45 ans, très honnête et très courageux. Il vint nous voir plusieurs fois en plein jour dans notre trou. Son P.C. se trouvait à Notre-Dame de Liesse, où j’allai au repos à la première relève. – J’en étais fort heureux. – Le curé de ce célèbre pèlerinage était un de mes confrères,[14] de la même province que moi, qui me donna une chambre à la cure, m’admettait habituellement à sa table, s’occupa de ma vie spirituelle et intellectuelle, m’introduisit dans quelques familles liessoises qui me gâtèrent, enfin me donna l’illusion que j’avais retrouvé la communauté religieuse et française du noviciat.

Du reste, grâce à la complaisance du lieutenant, je pus le revoir réellement, deux ou trois fois, sous des prétextes futiles, comme d’aller chercher un ballon. Le noviciat était revenu dans les Ardennes belges, à Florenville[15], près de Givet, non loin de Maredsous. Ce n’était pas si loin de Liesse. Pendant un de ces voyages, je m’exposai gravement. M. le curé était en possession d’une centaine de kilos de cuir qui avait alors <87> une grande valeur et que les Allemands recherchaient avidement. Les habitants de Liesse, comme tous les Français de ce temps, avaient beaucoup d’or, recherché plus âprement encore par l’envahisseur.

Comme on parlait alors de l’évacuation de la ville, M. le curé eut l’idée de me confier et ce cuir et cet or pourque je le porte au noviciat, qui le cacherait. J’acceptai imprudemment, mettant au milieu du paquet de cuir les nouvelles de la tour Eiffel que j’avais prises pendant plusieurs jours sur mon appareil. Le trésor avait été placé dans mon sac, devenu terriblement lourd. J’arrivai heureusement à Givet, où je devais changer de train. Il n’y avait qu’une locomotive allant à Florenville et elle se trouvait à 700 mètres de le gare. Comme je ne pouvais porter en même temps le cuir et l’or, j’optais d’abord pour celui-ci et le portai au chauffeur qui consentait à me prendre. – Je laissai mon gros paquet sous un wagon garé. – Quand je revins, il était parti. – On me l’avait volé. Avec une imprudence juvénile je téléphonai de tous côtés pour le retrouver. Ce fut en vain. – J’étais très mortifié de cette perte. Le trésor arriva à bon port et fut restitué après la guerre, à la grande joie de ses possesseurs. Il va sans dire qu’arrivé au noviciat je dépouillais immédiatement l’odieux uniforme que je portais pour revêtir la soutane. Mes confrères, très aimables pour moi, m’interrogeaient avidement sur mes aventures, sur les batailles auxquelles j’avais pris part. – N’ayant pas grand’chose à leur dire, ne voulant pas trop les décevoir, j’inventai consciencieusement des exploits ou me mis à grossir démesurément de petits incidents, à la manière de Tartarin[16]. Le malheur, c’est que ces jeunes avaient meilleure mémoire que moi et que d’une permission à l’autre ils demandaient des compléments à des histoires que j’avais absolument oubliées. J’avais sacrifié moi aussi, un peu par vanité certainement, à cette fonction fabulatrice qui sommeille en chacun de nous et que j’avais laissé dormir jusque-là. On voudra bien croire que je l’anesthésiai définitivement après cela et qu’en les mémoires en particulier elle ne joue pas le moindre rôle.

<88> Je restai près d’un an à Liesse et au chemin des Dames, alternant travail et repos. Je pus vivre une vie spirituelle régulière et assez profonde, au front et à l’arrière. Je me rappelle cependant que le printemps de 1918 éclatant au milieu d’un paysage désolé et squelettique exerça sur moi à certains moments une incantation véritablement magique. J’ai déjà noté plus haut ce fait. En mai 1918 nous occupions un poste qui se trouvait dans un chemin creux en face du chemin des Dames. Nos antennes allaient dans la vallée de l’Ailette. Les bombardements étaient fréquents. Aussi collines et vallées étaient-elles dénudées. Cependant je découvris non loin de notre abri un vallon frais, arrosé par une source dont le clapotis argentin m’ensorcelait littéralement. Du cresson poussait tout autour, des boutons d’or et des marguerites égayaient la prairie qui s’était formé grâce à l’eau. Quelques arbustes étaient restés vivants et s’ornaient de feuilles tendres. Toute cette vie frémissante dans un paysage de mort allumait puissamment mon sang, échauffait mon imagination et me donnait des émotions qui se renouvelaient tous les matins quand je venais me laver à cette fontaine. Je chantais et dansais parfois comme une Bacchante. – J’emploie à dessein cette comparaison. Car il y avait quelque chose de dionysiaque, de chtonique, d’infrahumain dans cette ivresse printanière. Dans cette nature sauvage, j’étais comme un faune et je m’attendais à voir mes jambes devenir velues comme celles de ces habitants des forêts. Si mon imagination n’eut pas été plus chaste, j’aurais instinctivement cherché quelque nymphe ou néréide au fond de cette eau limpide. Mais j’y étais seul comme Narcisse. -

Je réussis souvent cependant à remplacer Dionysos par Apollon, Belphégor par Minerve et à m’élever, grâce à la musique de cette source pure, à de belles considérations spirituelles. Au lieu de m’identifier obscurément à cette vie jaillissante par je ne sais quel panthéisme sentimental et naturiste, je voyais les mains divines tisser ces fleurs pour me les offrir et verser comme dans une coupe cette eau de cristal pour me désaltérer.

Cette spiritualisation de la nature m’était d’autant plus facile que je <89> vivais avec un grand séminariste westphalien qui était une très belle âme, qui à Liesse et au front continuait ses études théologiques  et avec lequel j’avais naturellement des conversations spirituelles à perte de vue. Avec lui nous agitions souvent le problème de la guerre en général et de celle à laquelle nous participions nous-mêmes. Les moralistes que nous consultions disent qu’il est défendu de prendre part à une guerre injuste, activement du moins et que tuer un soi-disant ennemi dans ce cas équivaut à un assassinat formel. Mon ami était moins convaincu que moi de la responsabilité allemande de la guerre. – Pour moi, elle ne faisait pas de doute, j’ai dit plus haut pourquoi. – Il devenait temps de tirer les conclusions pratiques de mes convictions. – La part que je prenais à la guerre était minime, il est vrai. – Je n’avais à manier aucune arme. Les renseignements captées par nos appareils étaient maigres et souvent truqués par moi. – D’autre part, ma famille en Sarre aurait à souffrir d’une désertion en règle connue comme telle et qu’elle-même sans doute n’aurait pas comprise. – J’aimais trop les miens pour les exposer à des représailles. – J’aimais aussi trop mes confrères de la Compagnie, pour leur créer des difficultés et notre solidarité connue et réelle les y exposait. – Je résolus donc d’attendre l’occasion d’être fait prisonnier, quitte à le faire naître moi-même ou du moins à l’exploiter résolument quand elle s’offrirait. – C’est avec ces pensées que je faisais les patrouilles la nuit. – Hélas! l’occasion tant souhaitée ne se présenta pas. Les semaines et les mois s’écoulaient calmes et paisibles en le secteur autrefois si agité. – Aucun Français ne se montrait qui aurait pu m’amener avec lui. –

Cependant vers la fin de mai nous assistions à d’évidents préparatifs d’offensive dans notre secteur. Des canons de tout calibre surgissaient de tous côtés. – On en plaçait jusque dans la vallée de l’Ailette, sans la moindre prudence. Le 30 mai[17] de cette année, j’étais à l’écoute. Vers 2 heures de l’après-midi j’écris distraitement un message télégraphique d’exercice. Il commence de manière classique Ka Ka Ra – et puis – le croirait-on – suit un texte nauséabond, cynique extrait de Germinal ou de quelque autre roman de Zola. J’<90>étais indigné. Non pas seulement parce que mon collègue d’en face ne respectait pas la pureté des ondes qu’il salissait ainsi, mais à cause de l’inconscience que je devinais là-bas. Visiblement les énormes préparatifs qui se faisaient de notre côté étaient parfaitement ignorés là-bas. – Au lieu d’envoyer des patrouilles de reconnaissance, on se saoulait de pornographie et sans doute de « pinard ». J’enrageais, sans rien pouvoir faire. –

Dix heures après l’artillerie allemande déclencha sur un front de trente kilomètres un tir de destruction effroyable qui dura toute la nuit. Notre chemin creux s’était rempli de troupes de choc. – Ces soldats étaient plus graves que nous, parce qu’ils allaient affronter la mort. – Au petit matin ils s’élancèrent. – Ils ne s’arrêteraient plus avant plusieurs jours. – Ils ne rencontraient aucune résistance. Les braves territoriaux français qui occupaient le chemin des Dames, hébétés par la préparation d’artillerie dont ils n’avaient aucune habitude, se rendaient  en masse avec leurs états-majors complètement surpris. Ce fut une défaite qui me remplit d’amertume. Je n’ai pas ici à en raconter les causes, que je ne connaissais pas alors. En tout cas des milliers de prisonniers étaient faits dès cette première journée. Il m’arriva avec l’un d’eux une aventure étonnante, à peine croyable. L’après-midi du 31 mai, j’allai faire un tour dans l’un des camps de prisonniers provisoires établis derrière le front. J’avais l’idée que j’y rencontrerais peut-être l’un ou l’autre de mes anciens compagnons d’études. Il arriva tout autre chose. Un de mes camarades me signala un prisonnier français d’une trentaine d’année en me disant qu’il était télégraphiste comme moi dans le même genre de service. Intéressé je me mis à causer, à interroger ce Parisien encore tout ébranlé par les événements. Quelle ne fut pas ma stupéfaction en constatant que j’avais devant moi le télégraphiste léger qui avait, la veille, lancé du Zola obscène à travers l’espace. – Je lui en exprimai mon étonnement et mon indignation. – « C’était un message d’exercice, me dit-il, tiré de livre que j’avais sous la main ». Il avoua, qu’ils avaient été tout à fait sur<91>pris. Nous causâmes longuement encore de la France et finalement reçûmes l’ordre d’aller chercher l’appareil émetteur de T.P.S. qu’il avait laissé au chemin des Dames. Rien ne pouvait m’être plus agréable. Je partis sans armes avec mon Parisien. Bizarrerie du sort, il portait un nom allemand, Henri Dorffner, avec son uniforme français; c’était l’inverse pour moi. Il habitait au boulevard Sebastopol. – Nous eûmes du mal, tout en bavardant, à retrouver son abri. Il était du côté de Cerny, dont il ne restait à peu près rien. Après quelques heures de marche, nous aboutissions à la tranchée qui avait été la sienne, ramassâmes l’appareil à moitié détruit par eux et pénétrâmes dans l’abri où ce jeune Israélite, soldat peu enthousiaste, avait vécu des jours aussi paisibles que moi dans le mien en face. Aussi paisibles, mais plus plantureuses. Il me le prouva aussitôt en m’invitant à partager avec lui le contenu excellent de son bidon, de certaines bouteilles, de boites aussi. Bref, dans cet abri français, nous fîmes un excellent déjeuner. – Ma situation n’était pas ordinaire. – Mon prisonnier trouva dans l’abri plusieurs revolvers, quand j’étais sans armes. Il aurait pu me tuer et s’enfuir. Au lieu de cela il m’offrit la plus belle de ces armes. Je ne sais pas si j’acceptai. Il m’offrit aussi un imperméable qui me rendit dans la suite les plus grands services. Après cela nous redescendimes du chemin des Dames, portant alternativement l’appareil qui pesait assez lourd et bavardant avec volupté dans cette langue française que je retrouvais avec délices dans toute sa pureté et qu’il allait perdre partiellement dans cette Allemagne où l’on allait sans doute le transporter. Avant de nous séparer, j’inscrivis l’adresse de mon camarade sur un calepin et lui promis de donner des nouvelles à sa mère dès que j’aurais passé de l’autre côté, comme j’espérais que cela arriverait bientôt. On verra plus loin que j’ai tenu promesse.

Quand je rentrai « chez moi » dans notre chemin creux, il n’était question que de départ, non pas en arrière, mais en avant. Puisque les fantassins étaient déjà à plusieurs dizaines de kilomètres, au <92> delà de Vailly et de Braine, que toute l’armée se déplaçait, nous n’avions qu’à suivre le mouvement. Nous le fîmes avec un enthousiasme non pas militaire mais touristique. La guerre de tranchée ankylose le corps et l’âme, vous donne des fourmis dans les jambes. L’air méphitique que nous respirions dans notre abri ne valait pas le grand air. Nous nous mimes donc joyeusement en route. Les cadavres que nous rencontrions à tous les carrefours assombrissaient bien notre humeur au début, mais cela ne dura que quelques kilomètres. Un de ces morts rencontré du côté de Fismes ressemblait étrangement à un de mes camarades de l’école apostolique. Je m’approchai, regardai sa plaque d’identité. Il portait le nom de celui auquel il m’avait fait penser, un nom assez connu du reste. Je priais de tout cœur pour lui et pour sa famille et continuai ma route.

Mes camarades devenaient d’autant plus gais qu’ils avaient trouvé des caves abandonnées, des vivres en abondance, des moutons en déshérence. Les villages que nous traversions au début étaient presque vides de civils. Ce fait explique le peu de délicatesse avec laquelle ces soldats prenaient tout ce qui leur plaisait. C’était écœurant. Il est vrai que dans l’armée allemande on avait faim depuis longtemps, le pain était gluant et moisi, la viande ultrarare. Nous étions tous sous-alimentés. Que ce jour là et le lendemain nous ayons tous été malades parce que nous nous étions gavés de mouton trop frais et peu cuit, faut-il s’en étonner ou s’en scandaliser?

L’avance allemande n’était pas la ruée sur Paris, comme ils le croyaient. Au bout de quelques jours, ils étaient arrêtés du côté de Château-Tierry, si je me souviens bien. En tout cas, nous fixions nous-mêmes nos quartiers à Oulchy-le-Château, au sud de Soissons. J’y trouvais des personnes connaissant le P. Gobert, mon ancien professeur de l’école apostolique. Elles acceptaient de me laver mon linge. Je leur rendais aussi quelques menus services, comme de les délivrer un jour des assiduités gênantes d’un Allemand qui croyait pouvoir faire méthodiquement le siège de la plus jeune d’entre elles. – C’était du reste un sous-officier, que je traitai de haut en bas avec une désinvolture qu’il n’avait jamais ren<93>contrée et qui lui en imposa.

Le poste de T.P.S. que j’eus à desservir avec quelques camarades à partir de la fin juin 1918 se trouvait entre Faverolles et Villers-le Petit, non loin de Longpont, où j’apprenais que fut tué à ce moment le P. Commandant[18] que j’avais eu pour surveillant à l’école apostolique. Nous étions à l’orée de la forêt de Villers-Cotterêts, très exposés parce qu’il n’y avait guère de tranchées et que nous étions à peu près en première ligne. Cela ne devait pas durer bien longtemps. Le 15 juillet les Allemands manquèrent leur offensive sur Reims et nos appareils nous disaient que notre secteur connaîtrait bientôt une offensive française. Le nombre des messages qui se croisaient dans l’espace était incroyable. Nous avions la conviction que des événements graves étaient imminents. En effet le 18 juillet un tir d’artillerie aussi nourri que celui du 31 mai au chemin des Dames fut déclenché vers 3 heures du matin, si je me souviens bien. Du reste il atteignit surtout nos arrières. – Les postes de commandements qui étaient à la même hauteur que nous, décidaient de profiter de la première accalmie  pour se décrocher. – On nous fit savoir qu’il vaudrait mieux que nous fassions la même chose. C’est alors que je compris que l’occasion tant guettée par moi allait s’offrir. Je convainquis mes camarades qu’un repli en plein tir de barrage était insensé, qu’il valait mieux risquer d’être fait prisonnier. Ils se rendirent à mes raisons. – Le sous-officier détruisit le poste. – Mes camarades firent quelques menus préparatifs. – Soudain j’entends des voix françaises à l’entrée de notre abri. – Je m’élance. – Il était grand temps. Déjà un soldat surexcité s’apprêtait à jeter une grenade qui nous aurait tous déchirés en morceaux. C’était bien les Français, arrivés avec une rapidité prodigieuse derrière le tir de barrage avec lequel ils s’étaient déplacés. C’était une attaque foudroyante. Je les en félicitai en bon français et en me présentant comme Alsacien. Mes paroles ne trouvaient pas grande écho auprès de ces hommes énervés par le danger et peut-être l’alcool. – Un de mes camarades, fils d’officier, essaya de lutter et de fuir. Il fut abattu impitoyab<94>lement. Les autres levèrent la main, faisant « Kamarade » de façon classique et spontanée. Les poilus qui étaient là nous regardaient sans aménité. L’officier qui les commandait me demanda de les conduire vers un village que je ne connaissais pas. Je lui expliquai mon ignorance qu’il prenait pour de la mauvaise volonté. Il me mit le revolver sur le cœur me sommant de répondre à ses questions. Je sentis l’arme trembler entre ses mains, car il était plus énervé et peut-être plus peureux que moi. Le sergent méridional qui nous avait fait prisonniers intervint vigoureusement  et réclama le droit de nous conduire en arrière. Il paraissait tout heureux de cette corvée qui le mettait pour quelques heures à l’abri du danger le plus gros. Il eut à nous défendre encore contre la fureur de ses camarades que notre uniforme exécré mettait en rage. – Près d’un abri qui était au fond d’un ravin je fus invité par des troupes montant à l’assaut à aller sommer  les soldats allemands qui s’y trouveraient à se rendre. – Je descendis prestement. Il n’y avait personne. – En me retournant je vis un fusil braqué sur moi. – L’arme s’ébattit sous le poing du sergent qui nous conduisait. – Décidément ces soldats français étaient bien nerveux. –

Bientôt nous arrivâmes dans une clairière où des milliers de prisonniers étaient déjà rassemblés. On demanda que les Alsaciens-Lorrains se déclarent. Je ne le fit point alors, par loyauté ou par crainte, je ne sais plus. – Les Sarrois de mon genre seraient-ils assimilés aux Alsaciens, j’en doutais, car en France on n’est pas très fort en géographie. – Je déchirai secrètement mon livret militaire, décidé seulement à tenter une chance plus tard. Je noterai cependant un fait regrettable, dont je fus témoin dans ce camp de prisonniers provisoire. Plusieurs d’entre nous durent comparaître devant une commission d’officiers chargés de leur arracher des renseignements militaires intéressants pour l’armée. Ils en sortaient presque tous rouges d’indignation et se frottant la joue. Ils racontaient qu’un gros adjudant alsacien les avait gratifiés <95> d’un soufflet brutal et sonore à la fin de l’interrogatoire stérile. C’était peu généreux et peu courtois. J’avoue que cela ne me donnait pas envie de lâcher mes camarades.

Je le fis cependant quelques jours après à Lamorlaye, près de Chantilly, où fut organisé un grand camp de prisonniers. Quand on demanda les Alsaciens-Lorrains, je sortis des rang. Le français que je parlais me fit agréer aussitôt, puisque je n’avais plus de papiers d’identité. Avec quelques camarades sachant le français, je fus employé au bureau pendant quelques jours, puis expédié à Saint-Rambert[19], près de St. Etienne, où il y avait un camp spécial pour Alsaciens-Lorrains. J’eus la joie d’y rencontrer un confrère lorrain, scholastique de la même province que moi, aujourd’hui ardent missionnaire à Madagascar. J’avais correspondu avec lui aussi longtemps qu’il était du même côté que moi. Sous-officier, il avait passé les lignes en plein jour, quelques semaines auparavant dans un secteur occupé par les Anglais. Pendant plusieurs jours il avait « potassé » l’anglais pour pouvoir passer sans danger. Il racontera volontiers plus tard le « come in », « viens », que lui jeta le tommy auquel il avait fait comprendre ses intentions. Reçu avec enthousiasme et gâté de toutes manières, par les Britanniques, mon confrère s’était déjà fait une situation à Saint-Rambert. Fort débrouillard, ayant des relations parmi les membres du Souvenir français de Moselle, dont plusieurs présidaient comme officiers aux destinées de ce camp, il était à la tête d’un bureau important. Il me rendit grand service, car ma qualité de Sarrois ne me donnait pas le droit de rester dans ce camp affecté aux Alsaciens-Lorrains purs, dont la plupart portaient un nom allemand et ne savaient guère le français. Une fois de plus je touchai du doigt la sottise et l’incohérence de l’administration. Il ne suffisait pas d’être français par le sang, par l’esprit et par le cœur, il fallait encore être né matériellement dans telle fraction du sol. – Odieux formalisme. – Grâce à mon compagnon, grâce à mes ancêtres nés en Lorraine on voulut bien m’assimiler aux Lorrains, me faire quitter l’uniforme allemand et me donner une salopette française <96> d’un très ancien modèle.

Je ne décrirai pas longuement l’atmosphère de ce camp, où des intrigues de toutes sortes s’entrecroisaient. Je ne me sentais pas heureux dans l’inaction. Une permission de quinze jours me permit de faire une retraite et la connaissance d’un certain nombre de confrères soldats ou autre rencontrés soit à St. Etienne, soit à Lyon, soit à Paris. Mon confrère et moi étions considérés comme des héros ayant rejoint la mère patrie au péril de leur vie. Nous laissions sans protester la légende se former autour de nous. Il y avait bien un peu d’histoire au fond, mais la fantaisie bientôt l’emporta sur la réalité, la poésie sur la vérité. Un peu honteux de cette gloire acquise à bon marché, nous décidâmes de la couronner en nous engageant comme volontaires dans cette armée française qui remportait alors victoire sur victoire. Nous finirions ainsi la guerre en beauté. – Consulté par nous sur ce projet, le P. Provincial nous fit remarquer que d’après les lois de l’Eglise un clerc ne devait pas être volontairement soldat, que les circonstances particulières faisaient qu’il autorisait notre engagement exceptionnellement mais dans une formation non combattante, du moins telle que nous n’aurions pas à y tuer les autres, si nous nous exposions à être tués. – Je songeai à redevenir télégraphiste comme je l’avais été dans l’armée allemande. – On me fit savoir que le 8º Génie,  étant au complet, n’acceptait plus d’engagement. Nous nous décidâmes finalement pour la marine avec un certain nombre de nos camarades qui nous y avaient déjà devancés. Le premier octobre 1918 nous signâmes donc l’engagement, à Saint-Etienne, après un conseil de révision sommaire, au titre de la légion étrangère, parce que matériellement nous étions encore sujets allemands et nous étions versés au cinquième dépôt des équipages de la flotte qui se trouvait à Toulon.  – Mais comme ce dépôt était alors consigné à cause d’une épidémie de grippe, on nous mit <97> provisoirement en subsistance au 38º d’infanterie à Saint-Etienne. Cela dura quelques semaines, pendant lesquelles, n’ayant rien d’autre à faire, je me plongeai avec une véritable fringale dans des livres de littérature française qu’un professeur du collège St. Michel mit généreusement à ma disposition. Ce fut pour moi, sevré depuis 2 ans de livres français, un enchantement qui me prouva une fois de plus que la patrie de mon esprit et de mon cœur était décidément la France.

Je reçus à ce moment-là une lettre de la mère de ce soldat français rencontré par moi sur le chemin des Dames comme prisonnier et auquel j’avais promis de donner de ses nouvelles à sa famille. – Je l’avais fait depuis longtemps. – J’avais même appris par un camarade qui était allé à Paris, que la mère du prisonnier était divorcée et aussi, si je me souviens bien, qu’elle était actrice ou l’avait été. – Elle cessa bientôt de m’écrire, sans doute à cause du ton religieux de mes lettres. – Plus tard, après la guerre, j’essayai de retrouver le contact avec ce soldat. Ce fut impossible.

Toulon étant toujours consigné,  nous fêtâmes l’armistice à St. Etienne. Ce fut du délire. Des rondes folles étaient dansées dans les rues, sur les places. Nous autres soldats étions embrassés à pleine bouche par des jeunes et des vieilles. Nous nous laissions faire, grisés nous aussi par la victoire, que nous avions si peu contribués à obtenir.

Après cela notre départ pour Toulon était dépourvu de signification. Il eut été plus simple de nous démobiliser aussitôt. Il n’en était pas question. Pendant deux mois nous apprîmes dans le grand port militaire méditerranéen, près duquel j’écris ces lignes et qui a été si violemment bombardé ces jours-ci, nous apprîmes à ramer près de l’épave de la Liberté, nous fîmes des corvées de charbon sur le cuirassé Duquesne et d’autres, travail dont j’ai gardé un souvenir cuisant et longtemps des mains écorchées. -  Nous fîmes l’école de fusil et des exercices de toutes sortes. – Vêtu du joli costume de marin nous étions le dimanche <98> invités et gâtés dans les familles alsaciennes ou lorraines du port. – Nous avions naturellement hâté de rentrer au vieux pays, où des cérémonies inoubliables avaient accompagné l’entrée des armées françaises, surtout à Metz et à Strasbourg. La Sarre avait été provisoirement internationalisée, en attendant que le traité de paix l’attribuât à la France, comme je l’espérais. – Vers la Noël[20] nous obtînmes, mon compagnon et moi, une permission de quinze jours. – Ne pouvant faire mon entrée dans Beaumarais <= Differten, PB>  en costume de marin français, je me munis en plus d’une vieille soutane que je revêtirais pendant ma permission. Arrivé à Metz, je me séparais de mon confrère qui allait à Sarreguemines et qui pouvait garder fièrement son uniforme, qui ferait naturellement sensation dans son petit village récemment délivré. –

Ma situation était plus délicate. Aux yeux de mes parents et des habitants du village, j’étais prisonnier de guerre comme tant d’autres. – Comment allais-je faire admettre que j’avais une permission et que je devais retourner au camp d’où je venais. – Tout cela me donnait du souci. A Thionville, où l’on voyait pour la première fois un marin français, on me posa toutes sortes de questions. Je me disais attaché à la flottille française du Rhin que je rejoignais. – Le soir, je pris l’omnibus allant à Sarrebruck et passant par Beaumarais <= Differten, PB> , où il devait s’arrêter vers 4 heures du matin, en pleine nuit heureusement. Le compartiment n’était pas éclairé. Aussi vers trois heures ¾ puis-je me métamorphoser  de marin en curé sans attirer l’attention. – Je réussis aussi, ayant un ordre de transport au lieu d’un billet, à éviter de passer par la gare et fis irruption chez moi vers cinq heures et demi, alors que tout le monde dormait encore. On devine la stupéfaction, la joie indescriptible des miens à ma vue. Je n’eus pas de peine à leur faire admettre mon petit roman: j’avais obtenu, grâce à des camarades d’études influents, une permission exceptionnelle, j’avais voyagé en costume de marin et je devais rentrer au camp dans quinze jours. Ma chère maman branlait la tête, admirant l’ingéniosité et les relations de son <99> garçon et ne demandant qu’à jouir de sa présence éphémère. Une grippe que j’avais contractée pendant le voyage me força heureusement à garder le lit, ce qui me dispensa de faire beaucoup de visites. –Une fois rétabli, j’en fis bien quelques unes. – J’étais gêné plus d’une fois par des questions posées et aussi par les regards curieux, que les soldats français stationnant dans le village jetaient sur mes souliers de troupe flambant neufs et peut-être sur mon pantalon bleu dépassant la soutane. – J’étais mal à mon aise, on le comprendra sans peine, malgré toute la joie d’être au milieu des miens. La dernière de mes sœurs, une enfant de deux ans, délicieuse de fraîcheur, d’entrain, d’espièglerie même, m’amusait prodigieusement. – Mais les parents de prisonniers qui venaient me voir et me demandaient des nouvelles des leurs m’embarrassaient cruellement et me forçaient à mentir. – J’étais sur des épines. Cette situation était intolérable. Au bout de huit jours je décidai d’aller passer la seconde partie de ma permission en Belgique, à Florenville, dans ce noviciat où j’étais allé plusieurs fois comme soldat allemand. Mon titre de permission mentionnait aussi cette destination.

Je partis nuitamment comme j’étais venu, quittai ma soutane dans le train et arrivai dans la petite ville le lendemain. J’étais le premier marin français qui s’y montrait. Je fis naturellement sensation. Mes confrères, qui m’avaient vu dans un autre uniforme, n’en croyaient pas leurs yeux. Je fus photographié sous toutes les coutures et me plongeai avec avidité dans la vie de communauté dont j’avais grand besoin et que j’aime toujours beaucoup. Ici du moins, je pouvais être moi-même, du moins dans l’essentiel, car j’avoue n’avoir jamais pu partager certaines formes de chauvinisme français rendant injuste pour les Allemands et ne faisant voir en ceux-ci que des brutes et des hypocrites. Or la littérature de l’autre guerre et de l’après-guerre était à ce point de vue étrangement tendancieuse, injuste, unilatérale. Toutes les plumes écrivant sur l’Allemagne étaient trempées <100> dans le ressentiment et la haine. On avait grossi énormément les atrocités certaines qui avaient été commises en Belgique et ailleurs, on les avait généralisées et avec cela on avait façonné une opinion qui suintait la rancune et la vengeance. Je ne pouvais me mettre à ce diapason, voilà pourquoi parfois avec mes confrères intoxiqués comme tout le monde, je fus obligé ou de manquer de sincérité ou de garder le silence. – Cependant au cours de cette permission j’étais tout heureux de retrouver un climat à la foi français et spirituel qui me faisait respirer à l’aise. –

Au bout de huit jours je rentrai à Toulon aux équipages de la flotte. Ce fut pour peu de temps. Fin février nous fûmes démobilisés et je rentrai en Belgique pour y faire mon juvénat. Ma première guerre était finie.

6. La formation d’un jésuite

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[1] Maurice Barrès, 1862-1923.

[2] Au service de l’Allemagne (= Les bastions de l’est, Bd. 1), Paris 1906.

[3] François Rabelais, 1494-1553.

[4] Jan Sobieski, 1624-1696.

[5] unleserlich.

[6] Richtig 1916!

[7] März 1917.

[8] Lutsk.

[9] 03.03.1918, Friedensverhandlungen seit 22.12.1917.

[10] Robert Nivelle, 1856-1924.

[11] L. Bonduelle, Provincial 1914-1921.

[12] Père Hahn, Schreiben von Robert Bonfils vom 24.02.2006.

[13] Blaise Pascal, 1623-1662, französischer Philosoph und Mathematiker.

[14] Parvillez, Paul de, curé de Liesse.

[15] Florennes!

[16] Alphonse Daudet, 1840-1897 : Tartarin de Tarascon, 1870.

[17] 1918.

[18] Henri Capitaine, + 05.06.1918.

[19] St.-Just-St.-Rambert oder St. Rambert-sur-Loire.

[20] 1918.